Analyse Technique : Pourquoi Les Figures Chartistes Ne Sont Que Le Fruit De Votre Imagination
L'analyse technique, c'est 70% d'imagination, 30% de biais de confirmation et 100% de perte de temps. Voici pourquoi.
L'analyse technique est une discipline qui séduit beaucoup de débutants en bourse. Sur le papier, elle a tout pour plaire : elle est simple, visuelle et son apprentissage est rapide. Les néophytes peuvent donc avoir le sentiment d'obtenir un contrôle total sur leurs achats et sur leurs ventes. Malheureusement pour eux, cela se déroule uniquement dans les contes de fées.
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L'analyse technique
L'analyse technique est un domaine intriguant - et attirant - pour les investisseurs qui débutent en bourse. Quand ils se lancent dans la jungle boursière, ils tombent sur toutes sortes de gourous auto-improvisés qui roulent en Lamborghini (de location) ou s'envolent pour une destination exotique à bord de leur jet privé (qui n'existe bien-sûr que dans leurs rêves).
Autant briser le mythe immédiatement : s'ils ont besoin de vous vendre des formations sous forme de fichiers PDF hors de prix ou de monétiser des vidéos YouTube, c'est que leur soi-disant trading si rentable ne leur permet pas de payer leurs factures. C'est un point que nous explique l'inénarrable Charlie Munger dans la courte - mais magnifique - vidéo ci-dessous :
Quand vous commencez l'analyse technique, la plupart des sites spécialisés sur le sujet vous indiquent que les graphiques de prix contiennent tout ce qu'il faut savoir. Selon eux, vous ne devez donc connaître ni ce que fait la société, ni ses données financières. Tout ce qui compte pour eux, c'est le prix de son action.
C'est une affirmation qui n'a aucun sens. C'est un peu comme si vous achetiez une maison sans la visiter ni connaître le quartier, uniquement sur base de son prix. Nous verrons par la suite pourquoi pratiquer cette stratégie est dangereuse et complètement aléatoire.
On vous dit aussi que les mouvements du marché sont induits par les émotions humaines. De plus, on vous affirme que les mouvements des cours ont tendance à se répéter car les humains font alors la même chose sous l'influence de la cupidité et de la peur. Cette fois, c'est vrai, mais seulement en partie. La majorité des ordres de bourse sont en effet exécutés par des robots de trading à haute fréquence, et donc pas uniquement par des êtres humains. Nous reviendrons à ces robots un peu plus loin.
On vous assène alors l'argument séduisant que si vous apprenez à reconnaître et à interpréter ces figures chartistes, et à en dégager un scénario, vous obtiendrez une probabilité supérieure à la moyenne de deviner le sens du marché ou du cours d'une action, et donc, de gagner de l'argent grâce à l'analyse technique.
En outre, les analystes techniques croient en général à l'efficience des marchés, c'est-à-dire au fait que toute l'information disponible au moment T est directement intégrée aux prix des marchés, sans aucune anomalie possible, et qu'il est donc impossible de le battre.
Il s'agit donc d'une contradiction manifeste, car l'objectif principal de l'analyste technique reste quand-même de dégager de l'alpha, c'est-à-dire un rendement supérieur à celui du marché. Sinon pourquoi perdre son temps à analyser des graphiques? Dans ce cas, autant se lancer dans la gestion passive avec des trackers pour égaler le marché et profiter de la vie loin des écrans.
Ayant moi-même beaucoup pratiqué l'analyse technique à mes débuts, et même lu sur le sujet, je peux vous certifier qu'il ne s'agit ni plus ni moins que d'une imposture à grande échelle.
"Mais je connais de bons analystes techniques"
Je connais pourtant d'excellents analyste techniques, qui gagnent beaucoup d'argent grâce à leurs compétences analytiques. C'est un argument qui revient souvent, et ça s'appelle le biais de survivant.
Dans sa célèbre tribune The Superinvestors of Graham-and-Doddsville, Warren Buffett nous expliquait son fameux pari : tout d'abord, on donne une pièce à chacun des 225 millions d'américains et on leur demande de jouer à pile ou face. Les perdants sont alors éliminés et les gagnants peuvent rejouer le lendemain. Les enjeux augmentent lorsque tous les gains précédents sont remis en jeu. Après 10 lancers de pièce, il restera 220.000 américains qui auront réussi 10 lancers d'affilés sur 10, gagnant chacun 1000$.
La nature humaine étant ce qu'elle est, les participants de ce groupe commenceront peut-être à expliquer leur technique révolutionnaire aux membres attrayants du sexe opposé pendant des cocktails.
Ensuite, si l'on continue le jeu du pile ou face pendant 10 jours supplémentaires, le premier groupe ne comptera plus que 225 personnes, qui auront réussi 20 lancers d'affilés, gagnant chacun 1 million de dollars et faisant perdre 225 millions de dollars aux membres du groupe malchanceux.
C'est là que les gagnants du premier groupe, galvanisés par tant de réussite, commenceront à perdre la tête. Ils passeront à la télé, écrirons des livres ou vendrons des formations qui expliquent comment ils ont réussi cette prouesse incroyable, taxant même peut-être d'envieux et de jaloux ceux qui oseraient remettre en cause leurs compétences de haute volée.
Un professeur d'école de commerce sera probablement assez impoli pour évoquer le fait que si 225 millions d'Orangs-outans s'étaient lancés dans un exercice similaire, les résultats auraient été sensiblement les mêmes ; 215 Orangs-outans avec 20 lancers de pièces gagnants consécutifs.
C'est ça, le biais du survivant.
Biais de confirmation
Quand il négocie des titres en bourse, l'investisseur a en effet tendance à être influencé par toutes sortes de biais cognitifs. En plus du biais du survivant, l'un des biais les plus répandus est le biais de confirmation.
D'après la définition de Wikipédia, il consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses et/ou à accorder moins de poids aux hypothèses et informations jouant en défaveur de ses conceptions.
N'importe quel investisseur, donc pas uniquement le trader qui utilise l'analyse technique, peut être sujet au biais de confirmation. Pour ne pas (trop) en souffrir, vous devez, autant que faire se peut, accorder autant d'attention, et même davantage, aux arguments qui détricotent vos idées d'investissements, surtout s'ils ne vous plaisent pas.
Paréidolie
En plus du biais de confirmation, votre simple imagination peut également vous jouer des tours. Le cerveau humain est ainsi fait qu'il est programmé pour fonctionner par association d'idées et pour reconnaître des modèles, y compris là où il n'y en a pas. Le phénomène le plus répandu dont souffrent les analystes technique est la paréidolie, même s'ils ne sont pas toujours au courant de son existence.
Selon Wikipédia, une paréidolie est un phénomène psychologique, impliquant un stimulus (visuel ou auditif) vague et indéterminé, plus ou moins perçu comme reconnaissable. Ce phénomène consiste, par exemple, à identifier une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée ou encore une tache d'encre.
Si je faisais de l'analyse technique, j'aurais sans doute reconnu les fameuses figures Cheval nuageux, ou Grenouille caféinée. Cela ne vous rappelle rien? Pourtant, des concepts aussi absurdes et dignes d'une diseuse de bonne-aventure ou d'un marabout armé d'osselets tels que Tête et épaules, Tasse avec Anse ou Diamant de creux sont des termes tout à fait sérieux en analyse technique.
Et pourtant... voyons dans le paragraphe suivant ce que nous enseigne Nassim Nicholas Taleb à ce sujet. Pour rappel, Taleb est un flâneur, trader, écrivain, et l'un des meilleurs spécialistes mondiaux dans le domaine des probabilités et de la gestion du risque.
Les gens pensent toujours qu'il y a une “histoire” là où il n'y en a pas.
Nassim Nicholas Taleb
Le hasard sauvage
Dans son excellent livre Le Hasard Sauvage, Nassim Nicholas Taleb nous indique que le cours des actions n'est dicté à court terme que par des critères totalement aléatoires. Il est impossible de connaître à l'avance comment se comportera un titre, comme il est impossible de deviner les prochains numéros gagnants du Lotto, que ce soit en lisant dans les astres, en tirant des cartes de tarot ou en pratiquant l'analyse technique.
Comme je le précisais plus haut, l'analyse technique a tendance à nous faire observer des événements du passé sous forme de supports, résistances, gaps, moyennes mobiles, pour tenter d'établir des scénarios probables quant à la future hausse ou baisse d'un titre. C'est bien entendu une technique qui fonctionnera approximativement une fois sur deux si on se risque à un grand nombre de prédictions. Mais les probabilités seront exactement les mêmes (50% de réussite) en jouant à pile ou face plusieurs milliers de fois.
Attention : il est tout à fait possible d'être rentable en trading, même pendant une longue période, en ne gagnant que 10% des trades, selon la somme allouée à chaque ordre. C’est la différence entre probabilité et espérance de résultats.
Les traders rentables, malgré le côté aléatoire de leurs gains, pourront alors être sujets à l'ultracrépidarianisme (excès de confiance en soi), aussi connu sous le nom d'effet Dunning-Kruger.
Dans le domaine des marchés financiers, il est possible de gagner de l'argent totalement par hasard.
Nassim Nicholas Taleb, Le hasard sauvage
Ce qui est également amusant avec les analystes techniques, c'est que quand leurs prédictions, totalement aléatoires, rappelons-le, ne se réalisent pas, ils n'évoqueront pas le hasard ou le fait de s'être trompés mais parlerons d'invalidation de leur scénario. C'est un terme assez technique qui fait plus érudit, même s'il ne veut absolument rien dire.
En lisant Le Hasard Sauvage, on réalise rapidement les motifs observés sur les graphiques ne sont rien de plus que le fruit de notre propre imagination. Nos cerveaux sont câblés pour reconnaître des motifs, qu'ils existent ou non, comme observer des formes dans les nuages. Ainsi, même si les prix du marché peuvent être complètement aléatoires, nous pouvons clairement voir des tendances dans les graphiques. Et il est important de préciser que chaque analyste chartiste livrera sa propre interprétation du graphique, souvent complètement différente de celles des autres.
Une poignée de techniciens ont cru que leurs connaissances en mathématiques pouvaient leur permettre de comprendre les marchés boursiers. La pratique de « l'ingénierie financière » est apparue à coup de doses massives de pseudo-science. Ceux qui pratiquent ces méthodes mesurent le risque en utilisant le passé comme indicateur de l'avenir. À ce stade, je me contenterai de dire que la simple possibilité de distribution non stationnaire fait du concept tout entier une erreur coûteuse.
Nassim Nicholas Taleb, Le hasard sauvage
Biais de rétrospection
Le biais de rétrospection est aussi un biais cognitif qui peut toucher à la fois les spéculateurs qui utilisent l'analyse technique, mais aussi les analystes fondamentaux.
Selon Wikipédia, le biais rétrospectif consiste en une erreur de jugement cognitif désignant la tendance qu'ont les personnes à surestimer rétrospectivement le fait que les événements auraient pu être anticipés moyennant davantage de prévoyance ou de clairvoyance.
Nassim Nicholas Taleb, quant à lui, affirme que le biais de rétrospection est un mécanisme de déni du hasard dans lequel tout événement doit pouvoir se justifier afin d’être le plus prévisible possible, sa fonction étant dès lors de conforter les individus dans leur sentiment de contrôler l'incertitude.
Les événements passés auront toujours l'air moins aléatoires qu'ils ne l'étaient (c'est ce qu'on appelle le « biais de rétrospection »). Plus j'écoutais les gens parler de leur passé, plus je comprenais qu'il s'agissait en grande partie d'explications illusoires concoctées a posteriori. Cela m'était parfois insupportable : quand j'observais les chercheurs en sciences sociales (en particulier en économie) et les investisseurs, j'avais l'impression d'avoir des fous en face de moi.
Nassim Nicholas Taleb, Le hasard sauvage
Les robots de THF
Les bots de Trading à Haute Fréquence (THF) peuvent aussi mettre à mal une stratégie de market timing à court terme sur base de l'analyse technique. Un algorithme basique de trading à haute fréquence peut notamment exécuter les fonctions suivantes :
- Passer des milliers d'ordres icebergs par seconde, c'est-à-dire invisibles.
- Introduire des milliers d'ordres fictifs, visibles, qui s'annuleront au dernier instant.
- Acheter des titres juste sous votre ordre "au marché" pour vous le faire payer 1 ou 2 centimes plus cher (d'où l'intérêt de ne jamais exécuter des ordres au marché mais uniquement à cours limite).
- Détecter les stop-loss et les faire sauter.
- Etc.
Il faut compter avec la force de frappe de ces robots de trading car ils représentent maintenant 70% des ordres introduits sur les marchés en Europe et même 90% aux États-Unis.
Il est presque impossible de jouer contre eux sur le court terme ; le seul moyen de les battre étant de les éviter sur leur terrain de prédilection, le très court terme, et d'investir sur le moyen ou long terme.
La simulation sur Excel
Kevin Lee, du blog The Art of Investment and Trading, a créé un fichier Excel pour bien se rendre compte du côté aléatoire de l'analyse technique et de l'évolution des cours de bourse.
Cette feuille de calcul permet de tester si un ensemble de nombres générés aléatoirement permet de créer des patterns reconnaissables sur un graphique, comme un double ou triple sommet, une rupture de tendance, des supports et des résistances, un range, un canal, etc.
Le fichier génère un prix aléatoire pour chaque jour de cotation dans la colonne value. Le prix du jour suivant est simplement un écart généré aléatoirement par rapport au jour précédent. Tout ce que vous avez à faire est de changer le pourcentage dans la case volatility. N'hésitez pas à le télécharger et à vous amuser à créer des graphiques et des modèles facilement reconnaissables en analyse technique.
Vous pouvez aussi simplement appuyer sur la touche F9 pour actualiser la feuille de calcul et obtenir un autre graphique aléatoire. Le joli graphique ci-dessus provient d'ailleurs de cette feuille Excel.
Conclusion
Les marchés sont complètement aléatoires à court terme, peu importe la stratégie utilisée : analyse fondamentale ou analyse technique. Personne ne peut prédire leurs mouvements. Tous les modèles que nous croyons reconnaître en analyse technique ne sont issus que de notre imagination qui nous joue des tours. De tels patterns peuvent être générés par des événements complètement aléatoires et n'ont aucune valeur prédictive.
Cependant, sur le long terme, les cours des actions refléteront presque toujours la juste valeur de l'entreprise sous-jacente. Je terminerai avec trois citations, l'une de Warren Buffett, l'autre de Peter Lynch et la dernière de John Train.
J'ai réalisé que l'analyse technique ne fonctionnait pas lorsque j'ai retourné le graphique et que je n'ai pas obtenu de réponse différente.
Warren Buffett
Les graphiques sont parfaits pour prédire le passé.
Peter Lynch
Aucun des grands investisseurs à qui j'ai parlé n'a jamais connu un « technicien » du marché qui a réellement fait de l'argent sur le long terme. Ces notions sont les eldorados du marché, bonnes uniquement pour soutirer de l'argent aux innocents.
John train
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